Raoul LUCAS et Alain JUNOT : Joseph MONDON, une vie d'engagements

Raoul LUCAS et Alain JUNOT : Joseph MONDON, une vie d'engagements

JOSEPH MONDON, est né aux Avirons en 1930, alors que La Réunion était encore une colonie.
Pendant plus de cinq décennies il irrigue les colonnes des journaux de l’île de ses billets. Réfractaire aux dogmes et aux idéologies, Joseph Mondon développe une pensée qui refuse les oppositions binaires dont notre île est si friande. 
Ses engagements, témoignages par la vie, courent sur le siècle.
Qu’est ce qui les a rendus possibles ?
Dans quels contextes se sont-ils opérés ? Où puisent-ils leurs racines ? Peuvent-ils, et en quoi, nous éclairer
sur La Réunion et son évolution ?
C’est tout son parcours que retrace le livre rédigé par le journaliste Alain JUNOT et le sociohistorien Raoul Lucas.

ENTRETIEN AVEC RAOUL LUCAS : QUEL INTERÊT DU TEMOIGNAGE POUR ECRIRE L'HISTOIRE?

Maître de conférences, membre de la société savante « L’Académie de l’île de La Réunion », Raoul Lucas est spécialiste de l’histoire de l’École à La Réunion. Auteur de l’ouvrage de référence Bourbon à l’école. 1815-1946, il pilote le programme scientifique « Histoire et Mémoire de l’École à La Réunion ». Le livre qu’il a publié en 2022, École et formation : 100 Réponses, (qui constitue le premier tome d’une Histoire générale de l’école et de la formation à La Réunion) est incontournable pour qui veut comprendre l’histoire de l’éducation dans notre île. Il présente cette fois, accompagné par le journaliste Alain Junot, un portrait de Joseph Mondon, enseignant, syndicaliste et homme politique, qui permet de relire l’histoire de La Réunion de la départementalisation de 1946 aux années 1970.

Raoul Lucas, pouvez-vous nous présenter la carrière de Joseph Mondon ?

Né en 1930 dans un milieu modeste de la petite commune rurale des Avirons, Joseph Mondon doit son parcours à sa réussite scolaire. Bon élève au primaire, il réussit à intégrer le prestigieux lycée Leconte de Lisle en 1942, alors que l’île est soumise à des conditions de vie très difficiles du fait de la Seconde Guerre mondiale. Cet établissement, qui reste le seul lycée de l’île jusqu’en 1965, fut un établissement de caste qui s’est ouvert timidement et difficilement sur ses marges à quelques rares élèves méritants de milieux modestes issus des écoles primaires et Cours complémentaires (puis CEG) des quartiers.

Joseph Mondon fait sa seconde en 1946, alors même que l’île devient un département français. Bachelier à 20 ans, en 1950, il fait des études supérieures en sciences à Montpellier. Il obtient pour cela une demi-bourse et bénéficie de l’aide de l’association des étudiants réunionnais (AER). Après deux années à chercher sa voie au sein du Séminaire des Colonies à Paris, car il est alors attiré par la doctrine sociale de l’Eglise, il rentre à La Réunion en 1954. Il trouve un emploi de répétiteur avant de devenir professeur d’anglais en Cours complémentaire en 1955. Devenu enseignant, il adhère alors au Syndicat national des instituteurs et professeurs de collèges. Dans ce syndicat, dont il restera membre jusqu'à sa retraite, il se battra pour son indépendance vis-à-vis de la politique.

Après s’être présenté comme candidat aux cantonales de 1967, dans la commune des Avirons, il adhère en 1972 au Parti socialiste. Choisi par François Mitterrand pour être son délégué départemental à l’occasion de la présidentielle de 1974, il quitte toutes ses fonctions politiques en 1976 pour des raisons familiales. S’opposant aux visions idéologiques des autonomistes et des départementalistes, il a rédigé tout au long de sa vie de nombreuses tribunes dans les journaux de l’île qui ont fait de lui un acteur important de l’éducation populaire.  Il me déclarait encore, en 2023, que le cap à avoir pour La Réunion était celui d’une « éducation émancipatrice tout au long de la vie, avec des citoyens auteurs, acteurs concepteurs de leur vie et de la vie publique, dans une démocratie délibérative ».

En quoi la biographie de Joseph Mondon que vous venez de publier avec Alain Junot peut-elle contribuer à une meilleure connaissance historique de l’histoire de l’École à La Réunion ?

L’École, en tant qu’institution, de la maternelle au supérieur, constitue un immense domaine de recherche.  Depuis plus de deux décennies, j’anime un programme de recherche sur l’Histoire et la Mémoire de l’École à La Réunion qui compte plusieurs volets : collectes, études, expositions, publications. Des publications qui viennent s’ajouter à celles d’autres collègues dans le cadre de leurs propres recherches. Si on est loin d’être démuni sur la connaissance de l’École à La Réunion du point de vue des politiques scolaires, des disciplines scolaires, de la didactique, des résultats scolaires, néanmoins de nombreux chantiers sont encore peu fréquentés, voire totalement désertés. C’est le cas notamment des mouvements étudiants réunionnais en France, de l’entre-deux-guerres aux périodes récentes et dans ce cadre le témoignage de Joseph Mondon, avec ses volumineuses archives, est extrêmement précieux. Pour la connaissance de ce mouvement, de ses dynamiques, de ses préoccupations, mais aussi pour les rapports des étudiants réunionnais à leur île, à son évolution, à son avenir, ceci à une période charnière de son histoire, celle de la décennie 1950. Joseph Mondon nous éclaire donc sur un pan de l’histoire de l’École mais également sur l’histoire contemporaine de La Réunion, dont il a été un des acteurs.

En tant que socio-historien, quelle place accordez-vous au témoignage oral pour contribuer à la connaissance historique ?

Votre question nous interroge sur la construction de l’histoire et de sa transmission. Dans cette construction, l’histoire orale offre la possibilité aux chercheurs, historiens, sociologues… d’élargir leur travail d’enquête, en réaction aux silences des archives traditionnelles ou en allant au-delà des sphères d’influence, qu’elles empruntent à l’idéologie dominante ou à des narrations de diverses natures qui façonnent les représentations. Par exemple tous ces discours à profusion qui abordent les problématiques réunionnaises sous le prisme du « retard » ou encore, dans un tout autre domaine, qui nous expliquent que toute migration est l’œuvre de politiques criminelles. Les témoignages oraux peuvent donc permettre d’affiner la connaissance des événements révolus, mais à condition que leurs collectes et leurs traitements répondent à un travail analytique avec des exigences de méthode au croisement des faits établis et des expériences individuelles des personnes interrogées.

Quand j’interviewe Pierre Livet, le premier président de l’Université de La Réunion sur la création de cette institution, j’ai le cadre chronologique, institutionnel et politique de cet événement, mais ce qu’il me rapporte permet de produire un savoir qui va au-delà du factuel et de la simple chronique pour englober les systèmes de représentations des différents protagonistes. C’est tout le pari de l’histoire orale : transformer en archive historique le témoignage oral, en explorant les aspects du passé à l’échelle du quotidien et de l’expérience individuelle. Qu’il s’agisse du jeune Joseph Mondon étudiant à Montpellier, comme de la travailleuse de l’action sociale à Sainte-Rose, ou du syndicaliste réunionnais dans le Madagascar d’avant l’indépendance.

À lire :

Raoul Lucas, Bourbon à l’école. 1815-1946, Océan Éditions, 2006.
Raoul Lucas et Mario Serviable, Histoire générale de l’École et de la formation à La Réunion : 100 réponses. Tome 1. École et formation, Epica-ARS Terres créoles, 2022.

Le Boucan

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